
Interview d’Angélique Dietrich, sexologue.
Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Angélique Dietrich, psychothérapeute, hypnothérapeute et sexologue. Angélique est l’auteure des livres : « Et si l’homme n’était plus on mouton « , « L’Inceste, du mythe à la réalité« , et « Une pièce de Théâtre : nous avons Dieu en Thérapie« . Ces œuvres explorent des thématiques profondes et sensibles autour des dynamiques familiales et des violences sexuelles. Elle a également fait les préfaces des deux livres d’Alix de Toukane qui ont fait l’objet de précédents articles.
Pouvez-vous nous donner une définition du libertinage et nous parler de ses évolutions ?
Le libertinage est un courant de pensées né au 15 ème siècle en Italie, qui est arrivé en France au 16ème siècle. Le libertin est un libre penseur qui se libère des contraintes religieuses. Il rejette le catholicisme et permet aux femmes d’acquérir un pouvoir intellectuel plus important. Le libertinage était tout d’abord une réponse à toute forme de répression religieuse et politique. Pour certains le libertin est un épicurien qui, par son intelligence et son esprit éclairé, atteint un degré élevé d’épanouissement personnel. Le libertinage est également devenu un thème littéraire qui explore des sujets liés au plaisir, à la sensualité. On nomme souvent le marquis de Sade, mais ce n’est pas le principal auteur lié à ce courant pensées. Cyrano de Bergerac est, par exemple, un authentique penseur libertin, tout comme Théophile de Viau, Laclos avec les Liaisons dangereuses, Crébillon fils avec son livre Les Égarements du cœur et de l’esprit, et Diderot pour Les Bijoux indiscrets, pour ne citer qu’eux.
La critique des mœurs est un aspect central du libertinage : il remet en question le puritanisme de la société, posant la question : « jusqu’où l’individu peut aller dans sa quête de plaisir sans nuire aux autres ou à la société ? ». Le libertinage a bien entendu évolué avec le temps. Sa signification et ses pratiques se sont adaptées aux changements sociaux, culturels et technologiques.
Aujourd’hui, l’émancipation sexuelle fait suite au libertinage ouvrant le droit à explorer sa sexualité dans de nombreuses cultures occidentales. L’avènement d’Internet et des applications de rencontres a facilité les rencontres sexuelles et a donné naissance à des communautés en ligne.
Est-ce que Le libertinage est uns sujet courant lors de vos consultations ?
Personne ne vient consulter pour libertinage ! Les femmes et les hommes viennent consulter pour des questions complexes autour de la notion des « déviances sexuelles », plus simplement nommer : perversions sexuelles. Je trouve qu’il est dommage que le mot perversion ait pris une connotation essentiellement négative alors qu’à la base il ne l’est pas.
Les consultations les plus fréquentes sont liées à un des deux partenaires qui vient consulter car les demandes « libertines » de la conjointe ou du conjoint sont pressantes pour une personne qui n’en a pas envie. Ce qui devient problématique, c’est lorsque ces comportements créent de la détresse, du danger, ou lorsqu’ils impliquent des personnes non consentantes.
Par exemple après le film 50 nuances de Grey, les coffrets distribués en sex-shop ont explosé et beaucoup de femmes se sont plaintes des demandes de leurs partenaires… mais il faut savoir que les hommes aussi se plaignent que de nombreuses femmes les forcent à aller en club !
Le rôle du sexologue dans ce cadre est d’apporter une écoute bienveillante surtout non jugeante pour aider à comprendre ces comportements, tout en respectant la diversité des sexualités humaines.
Quand est-il nécessaire de consulter un sexologue ?
Le recours à un sexologue devient pertinent dans plusieurs situations liées aux pratiques sexuelles perçues comme déviantes :
Détresse ou culpabilité : le sexologue permet de faire un travail de déculpabilisation, en distinguant ce qui relève du fantasme sain de ce qui peut devenir problématique.
Comportements compulsifs : lorsqu’une pratique sexuelle devient envahissante, compulsive, ou interfère avec la vie quotidienne et les relations, le sexologue peut aider à identifier les racines de ce comportement et proposer des stratégies de gestion.
Conséquences légales ou sociales : Certaines pratiques peuvent devenir déviantes comme le voyeurisme ou l’exhibitionnisme lorsque ce n’est pas consenti, et peuvent enfreindre la loi ou causer des dommages à autrui. Dans ces cas, il est essentiel de consulter un professionnel pour comprendre la source du comportement et éviter les répercussions légales ou sociales.
Difficultés relationnelles : Les personnes ayant des pratiques sexuelles jugées « déviantes » peuvent rencontrer des difficultés à exprimer leurs besoins à leurs partenaires, par crainte du rejet ou de l’incompréhension. Le sexologue peut aider à ouvrir le dialogue dans le couple, afin que les désirs de chacun soient pris en compte dans un cadre respectueux.
Quand peut-on parler d’addictions sexuelles ?
Dans certains cas, les pratiques sexuelles déviantes peuvent être symptomatiques de troubles plus larges, comme l’addiction sexuelle, le trouble de la personnalité ou des traumatismes non résolus. Le sexologue peut travailler avec d’autres spécialistes, comme des psychologues ou des psychiatres, pour offrir un accompagnement global et adapté aux besoins de la personne.
Pour conclure sur le rôle du sexologue : La consultation en sexologie permet de démystifier ces pratiques, de mieux les comprendre, et de trouver un chemin vers une sexualité plus épanouissante et en accord avec soi-même. Dans ce cadre, l’écoute bienveillante et le non-jugement du sexologue sont essentiels pour accompagner ceux qui souhaitent clarifier leurs désirs, ou mieux gérer des comportements qui leur échappent.
L’approche du sexologue combine souvent une écoute empathique, une éducation sexuelle, et parfois des interventions thérapeutiques spécifiques, comme la thérapie cognitivo-comportementale ou la psychothérapie.
Les consultations de sexologie aident également à explorer les motivations profondes derrière certaines pratiques. Par exemple, certaines comportements sexuels peuvent être une manière de gérer l’anxiété, de trouver un soulagement émotionnel, ou de réactiver des expériences passées liées à l’attachement ou au traumatisme.
Et le consentement dans tous ça ?
Un aspect clé que le sexologue explore est celui du consentement. Une pratique sexuelle, même inhabituelle ou marginale, n’est pas problématique si elle se déroule dans un cadre où toutes les parties sont consentantes. Pour cela il faut que les deux personnes ou les trois (ou plus), soit des adultes ! Je m’explique : si les personnes sont déjà dans des souffrances, si elles prises dans des liens de dépendance ou d’emprise alors ce ne sont plus des adultes mais des enfants consentants.
Je vais prendre un exemple de consultations : dans un couple de la quarantaine, après un film érotique, l’épouse a voulu aller explorer l’échangisme en club, le mari n’avait pas vraiment envie mais l’a fait pour faire plaisir à son épouse par peur de lui déplaire et qu’elle voir ailleurs. Ils y ont été. La femme s’est très bien amusée mais j’ai eu le mari en consultation dans les semaines suivantes pour perte de l’érection, perte de désir et angoisses diffuses. Il avait été très bouleversé de voir sa femme faire l’amour avec un autre homme, de jouir avec un autre homme, cela a ouvert une faille narcissique et abandonnique en lui car il n’était pas prêt. C’est dans la consultation, au bout de 20 minutes qu’il a parlé de cette expérience en club où lui n’a rien fait.
Qu’est-ce qu’un fantasme ?
Dans le langage courant, un « fantasme » désigne un désir ou une idée qui peut sembler réalisable ou irréalisable. Les fantasmes sont des pensées et des désirs qui traversent notre esprit lorsque nous sommes éveillés, tandis que les rêves se manifestent la nuit. Un fantasme n’est pas obligatoirement sexuel. Par exemple vous marchez dans la rue, vous voyez une glace à la fraise, le désir émerge c’est un fantasme. Les fantasmes sexuels représentent environ 20% du monde fantasmatique.
Tous les fantasmes sont-ils bons à réaliser ?
Tout dépend… la question est quand le fantasme passe-t-il à l’acte ? Pour nous thérapeutes le fantasme passe déjà à l’acte quand il est parlé.
Revenons à notre glace à la fraise : vous énoncez le fantasme à votre amoureux qui vous accompagne. Il n’est plus dans votre tête, par la parole il prend forme dans le tête de l’amoureux qui va vouloir vous faire plaisir, il va donc vous acheter la glace à la fraise même si vous n’en n’aviez en réalité pas vraiment envie ! Remplacez la glace à la fraise par une demande de sodomie, de triolisme ou autre et vous comprendrez mieux !
Il est impossible de répondre à cette question sans avoir les personnes en face de nous et ainsi savoir s’il n’y a pas de pulsion d’emprise, de pulsion d’attachement ou autres problématiques qui les mettraient en position infantile. La frontière entre l’admissible et l’inadmissible peut-être difficile à définir, le respect des limites de l’autre est primordial.
Voici un exemple sur les limites de chacun. J’ai eu un couple de médecin en consultations, la trentaine : elle aimait une fois par mois environ, que son mari fasse venir deux ou trois hommes qui la baisaient avec pénétration vaginale et anales de façon violente, ils lui urinaient dessus et finissaient en éjaculation faciale. Rien d’autre ne se passait le soir ! Le lendemain, quand son mari lui faisait l’amour, elle aimait qu’il lui raconte la scène de la veille et elle avait d’importants orgasmes. Dans la vie de tous les jours, elle avait peu de désir et faisait peu l’amour. Un soir son mari a eu envie d’un scénario érotique et romantique, il lui a demandé de se mettre en lingerie et voulait l’attacher au lit. Sa réponse a été : « non mais ça ne va pas tu me prends pour qui » ! Le mari est venu consulter à la suite de cette épisode. Je les ai vu deux fois en couple, et j’ai suivi le mari assez longtemps. Elle avait subi des abus sexuels, lui une mère tyrannique, surproductrice et castratrice, le couple évoluait dans une forme de couple dépressif avec pulsions d’emprise et d’attachement.
En tant que Sexologue quelle vision avez-vous du milieu libertin ?
En tant que sexologue, je considère que le terme « libertin » est souvent trop vague. Le libertinage n’est pas simplement une affaire de sexe, mais aussi une philosophie de vie où l’on questionne les normes établies et où la jouissance, tant physique qu’intellectuelle, est célébrée.
Le libertinage ne reflète donc pas la réalité des pratiques sexuelles. Il peut masquer une recherche d’identité réelle et peut être éloigné de son sens originel. Le milieu libertin, tel que je le perçois, est un univers où la liberté des mœurs et l’exploration des plaisirs sensuels sont au centre des relations humaines. C’est un espace où les conventions traditionnelles de la sexualité sont mises de côté au profit d’une quête de plaisir partagé, dans le respect du consentement et de l’authenticité. Ce milieu valorise avant tout la transparence, la communication et l’ouverture d’esprit.
Il s’agit d’un milieu hétérogène, accueillant des personnes venant d’horizons variés, avec des motivations et des pratiques très différentes, allant du simple voyeurisme à l’échange de partenaires, dans un cadre où la curiosité et l’expérimentation sont valorisées.
Le milieu libertin est en effet souvent un terrain d’exploration pour diverses pratiques sexuelles. Ce glissement vers des expériences variées découle de la philosophie d’ouverture et de liberté qui définit ce cadre.
Le libertinage inclut des pratiques comme l’échangisme, le voyeurisme, le triolisme, et parfois des jeux de rôles ou des pratiques plus spécifiques comme le BDSM. Ces pratiques ne sont toutefois pas systématiques et ne définissent pas forcément tous les libertins. Certains y voient avant tout une manière d’enrichir leur intimité ou d’approfondir leur connexion avec leur partenaire, tandis que d’autres cherchent à découvrir des dimensions nouvelles de leur propre sexualité.
Le milieu libertin est-il un milieu à risques, peut-on s’y perdre ?
Les clubs échangistes, en tant qu’espaces dédiés à la sexualité libérée et à la recherche du plaisir, peuvent, comme d’autres environnements hédonistes, présenter certains risques d’addiction, bien que cela ne soit pas une généralité.
L’addiction dans ce contexte peut se manifester de différentes façons, notamment sur les plans psychologique et comportemental. La multiplication des partenaires devient une expérience intense, stimulante et excitante, avec un sentiment de satisfaction immédiate.
Il y a libération d’hormones comme la dopamine et l’adrénaline qui peuvent rendre dépendantes. L’envie de retrouver cette intensité peut conduire à une addiction comportementale.
La multiplicité des partenaires et des expériences peut entraîner une quête permanente de la nouveauté et de la stimulation. Le manque de nouveauté constante va devenir une source de frustration. Ainsi vont se produire des comportements compulsifs. Cela indique des carences dans la vie affective et personnelle.
Fuite émotionnelle : les clubs échangistes et ou de rencontre, sont des moyens de fuir la réalité, les conflits et les frustrations de la vie quotidienne, des conflits personnels, l’excès de pratiques sexuelles de ce type peut devenir problématique, car il ne résout pas les problèmes de fond mais crée une forme de dépendance psychologique.
Risque de co-addiction : Dans certains clubs ou dans les rencontres privées, l’usage de substances comme l’alcool ou d’autres drogues peuvent accentuer la désinhibition. Ce contexte peut accroître le risque de co-addictions, où la dépendance sexuelle s’accompagne de la consommation abusive de substances, exacerbant les comportements compulsifs et augmentant les risques pour la santé. Le pire des mélanges actuels est les Kristal avec le Viagra ! Avant le Viagra, dans les clubs et les rencontres les hommes avaient des érections à 60% et ne faisaient l’amour qu’une fois, après l’arrivée du Viagra (mélangé au début avec la coke) ils se retrouvent à près de 90% avoir d’énormes érections et à faire l’amour à plusieurs partenaires !
Quel conseil donneriez-vous ?
Beaucoup d’individus ou de couples vivent le libertinage de façon occasionnelle et épanouissante ainsi vivre de manière libre et épanouie sa sexualité est source de bienfaits pour la santé physique et psychologique
La clé réside dans la conscience que la sexualité est une composante saine de la vie.
Nous ne répéterons jamais assez l’importance de l’usage du préservatif et du gel lubrifiant.